NAISSANCE DE LA 2 EME REPUBLIQUE ESPAGNOLE

Publié le par E-Mosaïque


Le 12 avril 1931, l’Espagne est grosse d’une république. Elle était espérée depuis longtemps, mais personne ne s’y attendait vraiment.
Ici ou là, à la faveur d’une insurrection, d’un mouvement de grève ou d’un coup de force, on la proclamait et tout rentrait dans l’ordre, après souvent des violences.
À Barcelone, par exemple, où elle fut - déclarée en 1917 par un comité révolutionnaire, la répression, conduite par l’armée, provoqua une centaine de morts. On - traduisit deux mille ouvriers devant les - tribunaux militaires, ainsi que les directions du Parti socialiste ouvrier espagnol et de l’Union générale des travailleurs.

Le rêve de république avortait dans le sang.
En début d’année, encore, un conseil de guerre condamna à mort deux officiers, Firmin Galàn et Garcia Hernandez, qui s’étaient insurgés en son nom, dans leur caserne de Jaca.
Durant le règne affolé d’Alphonse XIII, les proclamations, les promulgations, les déclarations favorables à un nouvel ordre se sont multipliées, en vain.

En août 1930, des républicains de diverses obédiences et quelques monarchistes modérés complotèrent à Saint-Sébastien, malgré le renvoi, en début d’année, du général Primo de Rivera dont l’impopularité mettait en péril le régime.

Avec la nomination du général Berenguer, on passa de la « dicdadura » (littéralement la « dictadure ») à la « dictablanda » (la « dictamolle »). Le roi et ses proches crurent trouver une parade convenable pour éviter la chute.
L’arbitraire connut une relative parenthèse. Au gouvernement, on tenta de revenir à la légalité constitutionnelle, afin de sauver les meubles. C’est dans ce cadre, où la République fermentait, que Berenguer organisa un scrutin.
Pour sa part, il misait sur l’élection d’un nouveau Parlement qu’il pensait contrôler. Il dut reculer. L’opinion publique lui imposa un préalable : les élections municipales susceptibles d’assainir la vie locale et permettant de structurer au grand air les mouvements politiques, afin d’opérer un changement réel. Depuis le Moyen Âge, l’Espagne croit au pouvoir des communes.

Les républicains se sont coalisés.
Des socialistes aux conservateurs, ils présentent un front, certes disparate, mais uni.
Les monarchistes sous-estiment leur efficacité. Ils n’imaginent pas, un seul instant, qu’ils seront battus, et plus que battus, déroutés. Ils ne perçoivent pas les signes que le destin et l’histoire leur dispensent. D’anciens collaborateurs du roi ont rejoint le camp républicain. Le roi, quant à lui, prend les choses à la légère. Alors que son monde s’apprête à basculer dans un néant, il part en - vacances en Angleterre, dont il ne reviendra qu’à la fin mars. Le trône vacille et le roi s’amuse.

Les Espagnols n’avaient pas voté depuis l’instauration de la dictature de Primo de Rivera, en 1923. Rien, donc, de très aventureux en principe, si ce n’est que les partis républicains l’emportent massivement.

Un tsunami secoue le paysage politique.
Les urnes ont parlé et en dépit du dédain traditionnel que leur opposent les anarcho— syndicalistes, force majeure dans la péninsule, elles ont parlé haut et fort, comme un inconscient qui se manifeste.
La surprise ahurit ceux qu’elle - réjouit comme ceux qu’elle accable. La monarchie était minée par ses échecs, une crise économique, la guerre du Rif, la question paysanne et celle des nationalités.
Elle était minée par sa brutalité, ses incapacités, son arrogance, et par l’insouciance obtuse des fins de règne. Elle était minée par des succès de l’industrie et un développement qui contribue à la densification d’une classe ouvrière turbulente et exigeante de progrès. Elle était minée par ses archaïsmes et des soupçons de modernité, comme si plus aucun habit ne lui convenait.

L’Espagne rêve.
Le 12 avril, au soir, le palais s’endort sous une monarchie aux paupières flétries et se réveille, sans qu’il le perçoive encore, avec une république.
Dans les hautes sphères, l’incrédulité cède le pas à une panique aux accents, parfois, burlesques.
Dans les grandes villes, et principalement à Madrid et Barcelone, la foule envahit les rues. La République a triomphé, sans exaction ni virulence. Elle joue sur du velours. Les foules sont pacifiques. À Madrid, on renverse la statue de Philippe IV et l’on transporte celle d’Isabelle II, la grand-mère d’Alphonse XIII, jusqu’au couvent des Adoratrices afin que les nonnes la lavent de ses péchés de chair.

Barcelone concurrence Madrid. On y proclame la République quelques heures avant la capitale où un Comité révolutionnaire s’est créé. Mais c’est à Eibar, au Pays basque, que revient le privilège d’avoir - arboré le drapeau républicain en premier. On méprise les formes juridiques que les - autorités, saisies de scrupules tardifs, - voudraient voir respecter.

À l’instigation du roi, que ses courtisans disent « serein », lorsqu’il apprend les résultats, le général Berenguer croit abattre une carte maîtresse en proposant l’élection d’une assemblée constituante devant laquelle le souverain abdiquerait, si la majorité le décide. Berenguer tergiverse. Il repousse la République.
En fait, il n’est plus en mesure de la différer. Les républicains n’ont pas de temps à perdre. Ils répliquent à son offre par un communiqué, sans appel : « Ce vote (...) a la valeur d’un plébiscite hostile à la monarchie (...) c’est un verdict contre le détenteur du pouvoir suprême. »

Berenguer comprend que la partie est perdue.
Il adresse un télégramme aux chefs de garnison. Ce télégramme est rédigé d’une manière si ambiguë que sa lecture ouvre le champ à plusieurs interprétations. L’armée n’interviendra pas. Le général Sanjurjo, commandant la garde civile, reste sur la réserve. La monarchie est amputée.

La République qu’on associait au rêve s’est avérée une nécessité.
Elle est désormais un inéluctable, et un inéluctable pressant. Quelques ultras préconisent à Alphonse XIII une résistance à outrance, quel qu’en soit le prix à payer. Le capitaine de la garde du roi exclut de donner l’ordre à ses soldats de marcher contre la foule. Il veut bien se sacrifier, seul, mais ses hommes, prévient-il, ne lui obéiront pas.

La nuit est tombée.
Le roi boucle ses bagages. La reine Victoria Eugenia refuse de l’accompagner. De drôles d’idées traversent l’esprit du monarque. Ce Bourbon, - héritier de Louis XIV, demande qui veillera « sur la tête » des membres de sa famille.
Mais le roi pense avant tout à sa sécurité.
Il quitte le navire. La famille suivra.

Le drapeau républicain flotte sur Madrid. Là, Alphonse XIII grimpe dans son Hispano Suiza qu’il conduira lui-même et après avoir crié un « Viva España ! » qui résonne comme un sauve-qui-peut, il roule jusqu’au port de Carthagène, si vite, qu’il sème presque son escorte.
Averti, le Comité révolutionnaire proclame la République. Il s’enquiert de la destination du roi. Il obtient une réponse par radiotélégramme : « Rien de nouveau à signaler... Dès que Don Alfonso débarquera (...) le drapeau républicain sera hissé à bord. Vive la République ! »

Denis Fernàndez Recatalà, écrivain, l'Humanité du 10 avril 2006

Publié dans e-miroirs

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